Surpassement, zone, flow, nuage, sont des mots qui tentent de décrire un état d’esprit particulier durant lequel tout semble facile et la performance à portée de main. En réalité, il faudrait plutôt parler de degré de concentration, car parfois, on parle de « zone » pour un joueur est très concentré mais restant dans le même état d’esprit. Dans cet article, je parlerai de cet état mental spécifique qu’est la zone et je prendrai quelques exemples qui, selon moi, l’illustre bien.
Souvent, ce qu’on appelle « concentration » est maladroitement compris comme une sorte de sur-analyse très rapide réalisée par les joueurs. Ce qui explique les conseils fréquents du type : « concentre-toi ! », « tu fais exprès ou quoi ? », « fais attention à ceci ou cela !», « Souviens-toi, ton jeu de jambe !!! » etc…
Si l’on regarde de plus près, il s’agit de mots ou plutôt de sport intellectualisé, mentalisé si l’on veut. Comme si l’on décrivait avec précision un super mode d’emploi et qu’on le relisait à chacune de nos frappes. C’est sûr que dit comme ça… la concentration est loin de faire rêver…
A présent, voyons les propos de joueurs qui ont vécu la zone. Je reprends ici quelques exemples dans les ouvrages de Damien Lafont, Entrez dans la zone ; et Hubert Ripoll, le mental des champions. Vous trouverez les références dans la bibliographie du site.
1. Une citation de Billie Jean King : « C’est une combinaison parfaite d’action violente ayant lieu dans une atmosphère de totale tranquillité »
2. La dernière chose, c’est la simplicité. Après avoir épuisé toutes les difficultés, c’est la simplicité qui doit ressortir avec tout son charme, comme le dernier sceau de l’art ». C’est Frédéric Chopin… célèbre musicien… un joueur de tennis dans la zone devient un artiste…
3. « Ce qui est incroyable, c’est que dans cet état, tout est prévisible, j’anticipe toutes les trajectoires, j’ai ce sentiment de piloter au ralenti, j’arrive à lire en avance, comme si le jeu était coulé, je ne me fais jamais surprendre. » Avec Thierry Tulasne
C’est en quelques sortes un paradoxe : on accomplit des actions de plus en plus performantes en ayant la sensation qu’elles sont si simples. Nous nous trouvons dans un état mental différent, dans lequel c’est l’intuition qui gère les choses, et non la volonté. Il est facile de constater que plus on cherche à contrôler de paramètres par la volonté plus on se fatigue, même s’il est possible d’atteindre un très haut niveau ainsi. La zone est au-delà de cela. Tout est simple, ici et maintenant, entièrement absorbé dans l’action de jeu.
Comme je l’ai dit, il s’agit d’un état mental particulier. Il est donc accessible à toute personne ayant un mental c’est-à-dire tout un chacun. Le niveau sportif importe peu. Bien entendu, à ce stade, le mental n’intervient pas « normalement » mais nous pouvons expérimenter quelques-uns des effets en nous concentrant, en étant toujours plus présent dans son match.
Plus un joueur est « DEDANS », plus il a la sensation d’avoir le temps pour s’organiser et moins les circonstances extérieurs n’ont de conséquences sur le niveau de jeu qui devient alors plus constant. Dans l’ensemble, un sportif « DANS » son match sera également moins sujet à certains troubles physiques comme les crampes et récupérera plus vite. Et, le plus important à mes yeux, il éprouvera de plus en plus de sensations et de plaisir malgré l’effort.
Sur le plan de l’entraînement, c’est un aspect très intéressant, car, si un sportif est de plus en plus concentré, il s’entraîne de plus en plus efficacement. Il gagne en intensité, peut travailler plus dur sans que cela soit ressenti comme un effort titanesque.
Je pense pouvoir affirmer aujourd’hui que les sportifs qui bénéficient de la zone, y parviennent de deux principales manières.
1. Par « hasard », c’est-à-dire sans entraînement spécifique. C’est à mon sens ce qui s’est passé lors de l’épopée opposant Nicolas Mahut à John Isner, plus précisément en fin de cinquième set. L’intensité de l’événement, l’ambiance, la fatigue insoutenable les ont presque naturellement conduit tous les deux vers la zone.
2. La seconde possibilité est par l’entraînement en particulier de la concentration. C’est le travail mené aujourd’hui par tous les meilleurs joueurs actuels. Chacun avec leurs propres façons de faire.
Conclusion
La zone est un état mental différent, en quelque sorte au-delà de la concentration. Certains effets ressentis sont assez similaires avec le fait d’être très concentré, bien entendu, cela reste moins intense que dans la zone.
De nombreux termes sont utilisés pour désigner l’état d’esprit ou le processus pour y accéder : les plus courant sont la zone, le flow, la fluidité ou encore le surpassement. Il y a bien sûr quelques petites différences que l’on peut faire mais c’est assez maladroit car, c’est un phénomène qui se vit plus qu’il ne s’explique. Il y a une telle augmentation des sensations, souvent même modification des perceptions habituelles, que les mots sont un peu faibles pour décrire un tel tableau.
De nos jours, avec l’accentuation de l’entraînement physique, le perfectionnement technologique du matériel… je crois que ce qui fera la différence sera la capacité au surpassement, encore plus qu’avant. Même un joueur comme Nadal qui a tendance à jouer tout en contrôle et maîtrise est conduit à lâcher-prise pour parvenir à un tel niveau d’excellence. Un Djokovic a dû se rapprocher de ces états d’esprit pour passer le cap qui l’a conduit à son actuelle place de numéro 1 mondial. A l’inverse c’est sans doute ce petit truc en plus qui manque à des Murray, Ferrer ou Tsonga pour s’élever plus régulièrement à ces niveaux de jeu.