• Contrôle et prévision et prévision du stress : article 2/3

    Après avoir parlé de l’identification des situations stressantes, je traiterai de deux autres composantes qui modulent la réponse au stress : le contrôle et la capacité de prévision. Au fil de déroulé de l’article, je vous proposerai des petits exercices pour alimenter votre réflexion.

    contrôle et prévision du stress1. Savoir identifier les paramètres importants:

    • Les profils:

    Des types de personnalité ont pu être mis en évidence dans des travaux de recherche. Des professionnels travaillent avec, d’autres sans. Avoir une idée de sa personnalité donne des éléments clés sur notre façon de réagir. Même si cela reste de la probabilité et non une vérité absolue.

    Quoiqu’il en soit, cela permet d’initier une démarche autour du stress.

    • S’autoévaluer:

    Je vous propose de réaliser 4 fiches ; 1 pour chaque paramètre incontournable de la compétition sportive : le physique, la technique, la tactique, le mental. Il convient d’utiliser des termes qui vous parlent car c’est vous qui travaillerez sur cette base : la personnalisation est importante.

    Prenez 10 à 15 critères par fiches et effectuez une première évaluation. Je vous invite, une fois vos fiches remplies, à demander l’avis des professionnels qui vous entourent. Par exemple, vos enseignants. Ils vous permettront d’affiner les critères et de cibler l’important pour votre progression et d’éliminer le superficiel. Un regard extérieur, permettra également de revoir votre jugement sur votre pratique sportive. Il est fréquent de surestimer ou sous-estimer ses compétences.

    Concrètement, vous listez les critères, vous faites 2 colonnes : points forts/points faibles et vous cochez plus ou moins selon que vous estimez que c’est fort moyen ou faible.

    Cette évaluation vous délivrera de nombreuses informations qui vous serviront dans tous les compartiments. Vous progresserez ainsi dans tous les domaines au-delà de la seule gestion du stress.

    Exemple de fiche « mental » sur 10 critères :

    contrôle et prévision du stress

    Les critères sont à personnaliser. Les 3 autres fiches sont à concevoir sur le même modèle, pour les plans « condition physique », « technique » et « tactique ».

    • Les situations stressantes:

    Savoir les identifier contribue à limiter l’impact du stress négatif. Je développerai ce point plus bas dans la partie « capacité de prévision ».

    Abordons à présent les deux modulateurs suivants : la capacité de contrôle et de prévision.

    2. Modulateur 2 : la capacité de contrôle

    • Explication

    C’est un des leviers les plus efficaces pour gérer l’énergie émotionnelle. Optimiser cette capacité peut se faire de plusieurs façons.

    Pour reprendre, le fil de nos réflexions, revenons sur la connaissance des mécanismes du stress. Associée à une auto-évaluation la plus objective possible, elle va permettre de savoir quand le stress sera suffisant ou insuffisant et d’agir en conséquence.

    Au-delà de l’identification, qui accroitra vos capacités de contrôle en ayant une longueur d’avance sur vos émotions.  Le contrôle, c’est aussi savoir comment faire monter ou baisser le niveau de l’énergie émotionnelle.

    Avant d’aborder 2 expériences de base, sachez que le fait de savoir que vous pouvez agir sur l’intensité du stress vous rend moins réactif à celui-ci. Nous retrouvons en permanence le croisement entre connaissance et expérience. On parle de modifications de la réponse biologique au stress. La connaissance bien qu’intellectuelle agit concrètement sur l’organisme !

    Lors d’une compétition, le contrôle intervient sur 3 sphères :

    • Les « petits détails »: tout ce qui peut se régler à l’avance.  Ces petites choses qui vous rendent la vie plus simple : prévoir une casquette, de quoi s’alimenter et boire, la préparation et vérification du matériel, la prise en compte de l’environnement. Ces éléments ne sont pas directement impliqués dans la gestion du stress mais ils permettent d’être dans des conditions favorables. Ces choses sont parfois prises en compte par le coach, notamment dans les sports collectifs.
      Encore une fois, lister est une façon simple qui d’agir efficacement.
    • L’émotionnel : j’envisage ici les émotions comme un flux d’énergie. On peut influencer l’intensité de celui-ci et sa direction. L’énergie restera raisonnable, stimulante mais pas épuisante. Elle sera dirigée vers ce qui sert : notre technique sportive ou nos plans tactiques. On peut également la diriger sur des qualités : la combativité, la concentration, l’agressivité.
    • Les pensées: des façons de travailler, que je n’aborderai pas ici, existent : la concentration, les rituels, les routines, entre autres.

    Naturellement, les exercices influent sur les trois sphères. L’impact est favorable sur l’ensemble de notre capacité de contrôle, dans un travail global.

    • Pratique

    Je vous propose une double expérience pour agir sur la sphère émotionnelle. Il s’agit de faire augmenter ou diminuer le stress dans des conditions d’intensité modérée.

    • En cas d’hypostress : profitez des temps-morts pour effectuer cet exercice respiratoire : 3 inspirations brèves suivies d’une seule expiration brève, comme un soupir. Faites-le par série de 3 fois.
      Pas plus de trois fois, car l’hyperventilation entraînerait un lâcher-prise excessif qui nuirait à votre performance. C’est sur la répétition que l’on mise.
      Cet exercice vous permettra de gagner en dynamisme et en vivacité. Vous augmenterez le stress pour atteindre la zone de contrôle.
    • En cas d’hyperstress : la démarche inverse : 1 seule inspiration en 5 secondes puis 3 expirations, là encore comme trois soupirs prolongés sur 3 à 5 secondes chacun. 5s d’inspir / 15s d’expir.

    Même proportion : des séries de trois répétées lors des temps-morts ou moins actifs dont vous disposez.

    Ces deux exercices ne visent pas à agir fortement sur le stress, simplement à vous faire expérimenter que l’on peut agir sur lui simplement. L’objectif est modeste : tempérer un stress un peu trop haut ou un peu trop bas, ni plus ni moins.

    contrôle et prévision du stress

    3. Modulateur 3 : la capacité de prévision

    • Explication

    La réaction au stress est plus forte face à une situation inconnue. Par conséquent, préparez-vous. Sachez envisager les situations dans lesquelles le stress sera là. Votre réponse sera plus adaptée à la situation.

    La surprise et la nouveauté sont ce qu’il faut éviter le plus pour rester en contrôle. C’est le rôle du travail tactique. Faites le tour de ce qui peut se présenter durant votre compétition. Vous aurez moins de situations inédites. Votre attention se placera sur votre compétition, en zone de contrôle. Vous n’aurez pas à utiliser de stratégie d’ajustement face au stress. C’est un travail d’anticipation.

    Le simple fait de savoir que la situation sera stressante, rend l’impact du stress moins fort sur l’organisme. On pourrait penser que la connaissance n’intervient que sur le plan mental mais c’est plus complexe. Elle intervient également sur le physiologique. D’où l’importance d’une prise en compte d’ensemble.

    • En pratique

    On retrouve, bien entendu, le listing des situations potentiellement stressantes.  C’est un point fondamental. Exercez votre capacité d’anticipation, apprenez à prendre un temps d’avance sur vos émotions. Une situation fortement stressante pour quelqu’un peut être dérisoire pour quelqu’un d’autre. Recherchez ce qui est valable pour vous.

     

    En conclusion : j’aborderais un dernier point : l’entourage. Avoir autour de soi, des gens qui vous aident à être dans une démarche constructive et active intervient également sur la réponse au stress. Plus un sportif se sent soutenu, apprécié et reconnu pour ce qu’il est, meilleures seront ses chances d’être et rester en stress positif.

    Plus le niveau sportif est élevé, plus cette composante est cruciale. L’entourage devient la clé de voûte de la gestion émotionnelle. Je ne parle pas seulement ici de l’entourage technique, mais aussi…. Et peut-être même surtout, de ceux qui vous rappellent qu’il n’y a pas que le sport dans la vie, y compris à très haut niveau.

    Mathieu CHARON

    Les liens vers les deux articles précédents sur le thème :

    Le stress en compétition

    Les trois modulateurs du stress 1/3

  • Les trois modulateurs du stress : article 1/3

    Dans l’article intitulé le stress en compétition, j’ai présenté un modèle qui insiste sur les incidences biologiques du stress. Ici, nous verrons de ce qui module cette réponse de l’organisme. Nous ne sommes pas égaux face à lui. Quelles sont nos possibilités d’action ? Comment travailler concrètement ?

    Premièrement, nous reprendrons quelques éléments du syndrome général d’adaptation (SGA) défini par Sélyé (détaillé dans l’article précédent). Ensuite, nous adapterons ceci à la compétition sportive et verrons le premier des trois modulateurs de la réponse au stress. Enfin, je conclurai sur ce qu’apporte le travail avec un psychologue pour la gestion du stress.stress personnalité et mental

    Les trois phases du SGA :

    stress personnalité et mental

    Ce modèle a pour objet principal deux réponses (principalement) biologiques au stress :

    • La réponse du système immunitaire
    • La réponse du système endocrinien (hormonal)

    Il a été montré que le stress positif (phase 1 ou 2), est un stimulant des systèmes immunitaire et hormonal. En revanche, lorsque l’on passe en phase de résistance, on observe des conséquences négatives. Le système immunitaire devient plus fragile et le système hormonal subit des dérèglements. Il existe un lien important entre ce dernier et la gestion des émotions en général.

    En termes de compétition :

    Sur le plan de la performance sportive : nous parlerons de « zone de confort », « zone de contrôle » et « zone de panique » :

    • La zone de confort: on pratique sans contrainte, sans enjeu particulier (loisir) et donc sans véritable stress. Ce n’est pas une zone favorable à la performance. Pour cela, il faut passer en zone de contrôle.
    • La zone de contrôle: on vise la performance en mobilisant ses ressources du mieux possible. Cette zone contient l’aspect motivateur et émulateur de la compétition. Au bout de celle-ci, se trouve « LA Zone » ou le flow : l’état de surpassement. Cette zone de contrôle est dépendante des modulateurs de la réponse au stress que nous détaillerons par la suite. Etre performant = Rester dans cette zone.
    • La zone de panique : le stress prend le dessus, agit négativement sur le corps. Il entraîne chute du niveau sportif et perte de lucidité. A l’extrême, cela peut atteindre « l’aspect négatif de  LA Zone ». Le sportif continue à réclamer des efforts importants à son corps dont les ressources sont proches de l’épuisement. Cela peut causer de graves blessures (phénomène de Burn-out).

    stress personnalité et mental

    Trois éléments sont les principaux modulateurs du stress :

    • Les caractéristiques personnelles (cet article 1/3)
    • La capacité à contrôler et prévoir le stress (article 2/3)
    • L’entrainement/l’expérience (article 3/3)

    Les caractéristiques personnelles : personnalité et fonctionnement de chacun :

    La personnalité :

    Un sportif qui considère « sérieusement » le stress et sa possible intensité aura tendance à avoir une réponse biologique plus faible. Il s’y sera préparé.

    A l’inverse, un sportif qui considère que le stress lié à la compétition n’existe pas, aura une réponse plus forte que la normale. Imaginez quelqu’un caché derrière une porte. Si vous savez qu’il s’y trouve, même s’il veut vous surprendre, mais vous éprouverez peu de stress. En compétition le stress est là, soit on s’y adapte soit on le subit.

    Prendre le stress à la légère est une attitude qui conduit souvent à se propulser en zone de panique involontairement. Le levier d’action est la compréhension de sa personnalité. Elle permet d’identifier les points sensibles. Ainsi nous pouvons renforcer nos forces et limiter nos faiblesses.

    La personnalité est une construction comprenant des éléments personnels, une part d’éducation, d’environnement, des principes et valeurs, l’histoire et les expériences de chacun. Cette complexité demande une certaine qualification pour en saisir tous les ressorts et aboutissants. A l’heure actuelle, c’est probablement le psychologue qui la formation théorique et pratique la plus complète à ce sujet. (Ceci ne relève pas de la préparation mentale)

    Le mode de fonctionnement personnel :

    Le « mental » de chacun fait également que le stress n’est pas vécu de la même façon. Par exemple, un sportif au tempérament « guerrier » sera moins souvent l’objet du stress négatif. A l’inverse, un sportif « frileux » face à l’enjeu, subira plus de stress en compétition.

    Il convient d’identifier les moyens que privilégie le sportif dans divers domaines comme la mémorisation, l’expression de ses émotions ou encore la gestion de l’enjeu. Pour illustrer :

    • Certains mémorisent mieux par la sensation, d’autres par les images.
    • Certains ont besoin d’être démonstratifs, d’autres se déconcentreront s’ils le sont.
    • Certains, en connaissant tous les retentissements de leurs actes s’en trouveront motivés. Pour les autres, ce sera une pression supplémentaire qui les inhibera.

    stress personnalité et mental

    L’intérêt du travail avec un psychologue :

    Le psychologue est un professionnel qualifié qui possède les connaissances indispensables à l’identification de votre mode de fonctionnement et de votre personnalité. Ceci est essentiel pour proposer un travail adapté à vos objectifs.

    La gestion des émotions, l’expression des affects, la relaxation, la préparation mentale, l’entraînement mental, la fixation d’objectifs, l’évaluation sont des outils très différents. S’ils ne sont pas utilisés à bon escient, ils sont inefficaces au meilleur des cas, contre-productifs parfois. La relaxation bénéfique pour beaucoup, en rendra d’autres totalement incapable de se battre, et ce n’est pas toujours ceux que l’on pourrait croire au premier regard.

    Le psychologue intervient donc de façon judicieuse dans l’accompagnement des sportifs amateurs et professionnels dans le cadre d’un bilan global permettant de gagner un temps précieux. Son intervention peut conduire à un travail plus approfondi en fonction de ses spécialités. Sinon, il orientera sur d’autres professionnels de la performance qui correspondront mieux à la recherche du sportif.

    Bien entendu, des bilans sont proposés par d’autres professionnels. Cependant, ceux-ci sont rarement formés à la psychologie, aux types de personnalités, aux fonctionnements mentaux, ou encore à la façon de mener un entretien individuel. Hormis les psychologues et les médecins, ces professionnels ne sont pas soumis au secret professionnel. Ce dernier s’avère pourtant central dans de nombreuses situations. Mon propos concerne autant les compétiteurs amateurs que professionnels.

    Mathieu CHARON

  • Le non-jugement ou comment passer d'une «compétition mentale» à une «compétition vécue»

    Le jugement est l’action mentale qui « détermine », de façon objective et subjective, le succès, ou non, de l’action entreprise. En compétition alors que l’enjeu fait son apparition, la question du jugement va de pair avec la gestion de l’erreur. J’engage un combat : au-delà de la victoire ou de la défaite, il y a ce que je décide d’en faire… consciemment ou inconsciemment.

    Le jugement subjectif pourrait se résumer à « suis-je satisfait de ma prestation ou non ? ». Toutefois, cette façon de traiter l’information complexifie la pratique sportive : non seulement je peux gagner ou perdre dans les faits, mais, je peux aussi gagner ou perdre dans ma tête.

    C’est ainsi qu’un sportif victorieux peut sortir d’une compétition totalement défait, car il n’a pas exécuté la performance souhaitée ou imaginée. A l’inverse, mais plus rare, un sportif peut perdre dans les faits mais être content car il a rempli des objectifs fixés au préalable.

    Une même action entraîne, conjointement, un jugement factuel et un jugement subjectif. Ceux-ci peuvent être concordants ou contraires, et par conséquent, ont un impact sur la mémorisation et le vécu. Ils influencent ainsi :

    – la suite de la compétition,

    – les compétitions futures,

    – la mémoire du sport.

     

    Quatre configurations sont donc possibles :bhagdatis

    • Victoire objective + victoire subjective
    • Défaite objective + victoire subjective
    • Victoire objective + défaite subjective
    • Défaite objective + défaite subjective

    Au tennis, comme dans de nombreux sports, cette notion est particulièrement présente car elle se reproduit autant qu’il y a d’échanges. Et bien entendu, le résultat global du match sera soumis au même examen.

     

    Les conséquences sur la suite de la compétition :

    Le sentiment constant de déception est nuisible au déroulement de la compétition et à sa finalité. L’empilement de ces sentiments et pensées défaitistes contribue à une vision, en partie faussée, ainsi qu’à un vécu uniquement négatif de l’instant – réduisant ainsi la compétition à sa dimension de contrainte.

    La prise de plaisir, l’accès à des sensations agréables devient quasi impossible dans ce contexte. A terme, un phénomène d’usure mentale peut apparaître.

     

    Les conséquences sur la mémorisation :

    Les processus de mémorisation ont une part automatique ; d’où l’importance d’émettre un jugement « objectif ».

    Au tennis, pour faire évoluer son niveau, un simple « faute ! » n’est pas suffisant. Le cerveau a besoin d’informations supplémentaires. La plupart lui sont données de manière inconsciente et automatique, mais d’autres peuvent lui être apportées consciemment.

    « De combien la balle est-elle sortie ? 3 mètres ou 2 centimètres ? » Cela permettra de nuancer l’erreur technique et d’y apporter un correctif approprié dès le point suivant. Cette attitude est adoptable en compétition comme lors des entraînements.

    Le hawk-eye, un jugement de précision

    Sans précisions, le cerveau apportera des correctifs mais ceux-ci seront globaux et ne correspondront pas forcément à ce qu’on en attend, à savoir ne pas réitérer l’erreur.

    Le cerveau privilégiant le ressenti à l’aspect technique pur, il s’adaptera de manière grossière, là où la technique demanderait plus de finesse. C’est le même processus lorsque l’enseignant fait des observations à son élève. En compétition, c’est à l’élève d’être son propre enseignant.

    Mais, il n’est pas facile de garder un jugement objectif sur ses erreurs, car l’émotionnel entre en jeu. Notre personnalité, plus ou moins perfectionniste, influence également. Nous avons ainsi un dialogue intérieur permanent : « Ai-je réussi ? » auquel se rajoute : « Ai-je suffisamment bien réussi ? ». Questions/réponses répétées autant de fois qu’il y a de points dans un match.

     

    Les conséquences sur le vécu et donc sur la mémoire même du sport :

    Les conséquences subjectives sont paradoxales. En effet, le gain d’une compétition qui ne satisfait pas, va créer un sentiment de défaite et de déception. Malgré une victoire dans les faits, de nombreux sportifs se trouvent ainsi dans l’insatisfaction permanente car trop rigides. Bien que cela puisse avoir parfois un intérêt (détermination, volonté de surpassement), cela a surtout des inconvénients majeurs.

    Ce qui sera mémorisé et comment, est déterminé par l’intensité du vécu de la situation. Le jugement objectif, sans savoir de combien de centimètres la balle est sortie, n’aura ainsi que peu d’incidence sur la qualité du processus mémoriel.

    En revanche, lorsque le sportif est satisfait ou insatisfait, les émotions entrent en jeu faisant prendre à l’erreur une toute autre dimension. Notamment, le risque que le sportif s’identifie à son erreur donnant ainsi les traditionnels « Je suis nul ! » ou encore « Je suis bon à rien ».

    Ces propos courants chez les compétiteurs, et généralement considérés anodins, sont pourtant lourds de conséquences. On passe ainsi d’une simple erreur potentiellement facile à rectifier, à une remise en cause de soi-même et de ses capacités.

     

    >>> Un jugement « imprécis, négatif » à la place d’un jugement « objectif, neutre émotionnellement » conduit à augmenter l’intensité de l’investissement personnel. C’est-à-dire ancrer en mémoire l’erreur que l’on vient de faire. Par extension, ceci interviendra sur notre mémoire-même du sport modifiant ainsi l’apprentissage « juste » des entrainements.

    En jugeant de manière subjective, nous avons ainsi toutes les chances de refaire inconsciemment la même erreur !

    Ce jugement émotionnel prend le dessus sur le jugement « réel » et se substitue à lui. En observant un match de tennis, vous verrez facilement que les deux jugements sont rarement raccords, hormis chez les plus grands joueurs. Celui qui reste, c’est l’émotionnel. C’est, de fait, lui qui va décider quelles corrections apportera le cerveau, en toute « in-objectivité ». C’est ce que j’appelle « une compétition mentale ».

    Tout se passe dans la tête sans référence à la réalité objective. C’est un travail de longue haleine que de parvenir à dépasser ce stade et parvenir une « compétition vécue ». Ce qui est pourtant le meilleur gage de progression dans l’entrainement comme dans les compétitions.

    NadalHawk

    Il s’agit donc d’appliquer le « non-jugement ». Je parle bien-sûr ici de l’émotionnel. Chacun a intérêt d’être objectif sur sa pratique sportive : permettre une amélioration continue et précise de sa maîtrise technique. En revanche, si celui-ci est court-circuité par les émotions alors il ne sert plus à rien. Ses apports sont laissés pour compte.

    Cet impact du jugement dépasse le domaine sportif. C’est un processus constant y compris dans la vie quotidienne. L’être humain est le champion du monde de l’insatisfaction. Parvenir à ne plus juger est la première étape de toutes les disciplines qui s’intéressent à l’observation de soi, à l’introspection. Que ce soit la psychologie, le yoga, la méditation, la sophrologie.

    Au tennis, le premier à l’avoir abordé est Timothy GALLWEY dans son ouvrage Tennis et psychisme. Il a, par ailleurs, adapté son propos au golf, à la musique, au ski avec sa série d’ouvrages « Inner game » car il s’agit finalement du même processus.

    En France, Sauveur CUOMO reprendra cette notion en la faisant évoluer, dans sa méthode sophro-tennis, vers une dimension pratique avec ce qu’il nomme « l’accueil de l’erreur ». Il s’agit d’obtenir des moyens concrets de limiter l’impact de l’émotionnel sur l’objectif.

    En conclusion, il est bon de garder en tête qu’avoir une perception juste et objective de ce que l’on fait conduit à faire la part des choses entre son identité et ses actes. Une erreur n’est qu’une erreur. Apprendre à remplacer les « je suis nul ! » par un simple « j’ai commis une erreur que je m’efforcerai de ne pas reproduire » est essentiel. Le bénéfice majeur sera une prise de plaisir accrue par des « compétitions vécues » au travers des sensations et plus seulement à travers le filtre de la pensée. Le sport n’est pas un raisonnement intellectuel mis en pratique, mais avant tout, un art du corps et une formidable source d’expression de soi-même.

    Il s’agit de faire confiance au corps, qui a mémorisé des gestes justes durant l’apprentissage et ne pas laisser des émotions ou des pensées parasites s’insinuer dans cet Art. En guise d’inspiration, je vous livre ces quelques lignes de l’ouvrage d’André SCALA :

    « Comme Federer, il [Nadal] place l’esprit sous la conduite du corps. Federer et Nadal savent entendre la voix de ce sage inconnu, le corps ; l’âme, pour eux aussi, est l’idée du corps. Nadal décrit ainsi l’ordre des choses quand il joue bien au tennis : « ma tête obéit quand « je » lui demande quelque chose ». « Je » c’est le corps. Il n’abandonne presque jamais, il râle très rarement. »

    A SCALA (cf. référence ci-dessous)

    Mathieu CHARON

    Bibliographie :

    André SCALA, Silence de Federer, p 70/71, Les Essais, Editions de la Différence, 2011

    Timohy GALLWEY, Tennis et psychisme, Editions Robert Laffont, 1976

    Timothy GALLEY, The inner game of stress, Editions Random House, 2009

    Timothy GALLWEY, Ski et psychisme, Editions Robert Laffont, 1987

    Sauveur CUOMO, Tennis et dynamique mentale, autoédition, 1996

    Sauveur CUOMO, Le tennis, un yoga de la vie, autoédition, 2000

  • Le langage du corps et la préparation mentale

    Pour bien des professionnels, le langage du corps serait une clé incontournable de la préparation mentale. Selon les approches, il peut même être  un outil central dans l’entrainement mental. « Signe signal », « routine », « habitude », « attitude », voilà quelques termes renvoyant au langage du corps en préparation mentale.

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    Pour comprendre de quoi il s’agit :

    Le langage du corps est supposé par certaines disciplines ces dernières décennies. Le corps pourrait exprimer des choses indépendamment de la pensée, qui ne seraient pas induites par elle mais directement de l’ordre d’une création propre à lui-même.

    « Dis-moi quelle est ton attitude, je te dirai qui tu es !»

    C’était en son temps, le crédo de la morphopsychologie pour qui la forme du corps était révélatrice de tout un tas de caractères et autres émotions. On trouve le même parallèle avec la phrénologie qui se basait, elle, sur la forme du crâne pour décrire avec précision la psychologie. En étudiant de près tout ceci avec l’arrivée des études scientifiques, des tendances ont pu être mises en évidence mais rien de véritablement significatif ou probant.

    En préparation mentale, on admet communément que si on peut agir sur le corps en « pensant », la réciproque serait également vraie. A l’image de l’expression « il faut vouloir pour pouvoir », cela voudrait dire que si l’on adopte une attitude suffisamment longtemps, si l’on oblige son corps à « parler » d’une certaine façon, le cerveau va se mettre en état de performer.

    Pour appuyer cela, des études statistiques ont mis en évidence des attitudes, des comportements récurrents chez la plupart des grands champions arrivant ainsi à la conclusion que si cela marche pour eux, cela marcherait pour n’importe qui.

    Pratique, attrayant, quasi magique ! Fini les efforts pour aiguiser son mental, il suffirait pour être champion de se tenir droit, d’adopter un signe particulier pour s’encourager et de bomber le torse. Notre inconscient se retrouverait ainsi reprogrammé pour la performance. Exit la préparation mentale ! En trois séances j’apprends comment contrôler mon corps pour être performant mentalement.

    Cela semble être du bon sens mais, vous l’aurez compris, il n’y a bien sûr aucun fondement avéré à ces techniques, autre que la conviction de celui qui l’applique. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de lien. En effet, il y a un réseau d’influences complexes, du mental vers le corps et du corps vers le mental.

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    Pour les comprendre, on peut s’appuyer sur le yoga. Particulièrement sur les « asanas » : les postures. Dans cette méthode, on place volontairement le corps dans une certaine configuration avec des objectifs expérimentés depuis quelques centaines d’années.

    Quand on pratique l’entretien du corps, ce n’est pas forcément une chose à laquelle nous prêtons attention, mais, dans la pratique :

    L’objectif du yoga est double : l’entretien du corps + l’influence sur la pensée.

    Les yogis s’intéressent ainsi à la maîtrise des pensées et émotions afin de permettre l’installation des états méditatifs de plus en plus régulièrement et de plus en plus durablement.

    Et donc, que nous dirait le yoga du « langage du corps » ?

    Il est impossible d’ignorer, qu’en effet, la posture, agit sur le corps, sur les émotions puis, sur la pensée. De façon quasi générale, c’est dans la durée que l’on va agir sur une composante puis sur la suivante et enfin la dernière. Par exemple, si on agit sur le corps pendant 5 min, on maintiendra la posture. On sera efficace sur l’émotionnel les 10 minutes suivantes et ensuite seulement, on interviendra de façon sensible sur le mental les 10 minutes suivantes.  Un temps de 25 minutes environ par pratique est un temps reconnu pour qui souhaite faire un travail de fond de manière classique.

     

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    Comme le figure cette grappe de raisin, la transformation advient avec le temps qui passe.

    Les grains arrivés à maturation représentent l’aboutissement d’un travail de longue haleine.

    Les jaunes illustrent le travail sur le corps, les roses celui sur l’émotionnel (l’affectif) et enfin les noirs sont l’expression ultime du processus.

    En compétition, on appelle cela : PERFORMANCE.

     

    Nous entrevoyons donc que :

    Prendre une attitude peut permettre de modifier des pensées ! Oui mais :

    Que cette démarche permette une modification durable et bénéfique sur la performance sportive, considérant le maintien limité dans le temps, de chaque attitude, n’est pas une évidence. Par ailleurs, la vérification est facile : le niveau de concentration est-il meilleur ?

    Concrètement, y-a-t-il moins d’erreurs « bêtes », de manques de lucidité et plus de performance dans les situations importantes ?

    Ne jamais oublier de rendre les applications mesurables et concrètes quand on parle de mental.

    Si j’aborde ce sujet aujourd’hui, c’est après avoir vu nombre de sportifs pensant « faire bien ». Je me souviens notamment d’une excellente joueuse de tennis française qui employait parfaitement plusieurs « signes-signaux » à la perfection et maîtrisait tout de son attitude. Pourtant, presque toutes ses défaites se finissaient en sanglot, et avec un pourcentage coups-gagnants/fautes directes, très modeste. Certains mettront ça sur le compte du trop-plein d’émotions d’une fin de match. Tout comme il est possible d’admettre qu’elle ne parvenait pas à diriger l’énergie de ses émotions vers son objectif de performance.

    L’exemple d’une sportive professionnelle n’est pas un hasard. Il est directement lié à la difficulté de s’entraîner mentalement. En effet, notre mental est extrêmement complexe et ses interactions avec les émotions, avec le corps et donc avec la performance, sont bien souvent subtiles et forment un réseau dont il est difficile d’identifier -et de connaitre les tenants et aboutissants. C’est tout l’objet de l’entrainement mental !

    En revanche, l’essence de l’attitude des plus grands champions tous sports confondus, prend sa source en un point central et incontestable dans leurs performances : un niveau de concentration hors norme en compétition comme à l’entraînement.

    Amusez-vous donc à vous observer lorsque vous êtes concentré. Regardez alors comment se tient votre corps : avachi ou droit ? Vous sentez-vous conquérant ou effrayé ? Motivé ou ramollo ? Déterminé ou plein de doutes ?

    Même si la réponse peut sembler évidente, essayez d’y faire attention pendant vos actions. Lorsque vous vous sentez très concentré, observez votre attitude corporelle !

     

    Points clés

    Ne pas confondre causes et conséquences.

    Le niveau de concentration induit l’attitude positive chez le sportif et non l’inverse, même si des modifications légères laissent à penser le contraire.

    Le défi du mental est de rester concentré longtemps puis d’augmenter l’intensité de ce focus.

    La performance, comme l’attitude, est une conséquence logique du niveau de concentration qui s’exerce tout au long de la vie.

    photo art langage du corps

  • La Zone ou l’Art de l’instant présent

    Surpassement, zone, flow, nuage, sont des mots qui tentent de décrire un état d’esprit particulier durant lequel tout semble facile et la performance à portée de main. En réalité, il faudrait plutôt parler de degré de concentration, car parfois, on parle de « zone » pour un joueur est très concentré mais restant dans le même état d’esprit. Dans cet article, je parlerai de cet état mental spécifique qu’est la zone et je prendrai quelques exemples qui, selon moi, l’illustre bien.

    la zone ou l'art de l'instant présent

     

    Souvent, ce qu’on appelle « concentration » est maladroitement compris comme une sorte de sur-analyse très rapide réalisée par les joueurs. Ce qui explique les conseils fréquents du type : « concentre-toi ! », « tu fais exprès ou quoi ? », « fais attention à ceci ou cela !», « Souviens-toi, ton jeu de jambe !!! » etc…

    Si l’on regarde de plus près, il s’agit de mots ou plutôt de sport intellectualisé, mentalisé si l’on veut. Comme si l’on décrivait avec précision un super mode d’emploi et qu’on le relisait à chacune de nos frappes. C’est sûr que dit comme ça… la concentration est loin de faire rêver…

    A présent, voyons les propos de joueurs qui ont vécu la zone. Je reprends ici quelques exemples dans les ouvrages de Damien Lafont, Entrez dans la zone ; et Hubert Ripoll, le mental des champions. Vous trouverez les références dans la bibliographie du site.

     

    1.       Une citation de Billie Jean King : « C’est une combinaison parfaite d’action violente ayant lieu dans une atmosphère de totale tranquillité »

     

    2.       La dernière chose, c’est la simplicité. Après avoir épuisé toutes les difficultés, c’est la simplicité qui doit ressortir avec tout son charme, comme le dernier sceau de l’art ». C’est Frédéric Chopin… célèbre musicien… un joueur de tennis dans la zone devient un artiste…

     

    3.       « Ce qui est incroyable, c’est que dans cet état, tout est prévisible, j’anticipe toutes les trajectoires, j’ai ce sentiment de piloter au ralenti, j’arrive à lire en avance, comme si le jeu était coulé, je ne me fais jamais surprendre. » Avec Thierry Tulasne

     

    C’est en quelques sortes un paradoxe : on accomplit des actions de plus en plus performantes en ayant la sensation qu’elles sont si simples. Nous nous trouvons dans un état mental différent, dans lequel c’est l’intuition qui gère les choses, et non la volonté. Il est facile de constater que plus on cherche à contrôler de paramètres par la volonté plus on se fatigue, même s’il est possible d’atteindre un très haut niveau ainsi. La zone est au-delà de cela. Tout est simple, ici et maintenant, entièrement absorbé dans l’action de jeu.

    la zone ou l'art de l'instant présent

     

    Comme je l’ai dit, il s’agit d’un état mental particulier. Il est donc accessible à toute personne ayant un mental c’est-à-dire tout un chacun. Le niveau sportif importe peu. Bien entendu, à ce stade, le mental n’intervient pas « normalement » mais nous pouvons expérimenter quelques-uns des effets en nous concentrant, en étant toujours plus présent dans son match.

    Plus un joueur est « DEDANS », plus il a la sensation d’avoir le temps pour s’organiser et moins les circonstances extérieurs n’ont de conséquences sur le niveau de jeu qui devient alors plus constant. Dans  l’ensemble, un sportif « DANS » son match sera également moins sujet à certains troubles physiques comme les crampes et récupérera plus vite. Et, le plus important à mes yeux, il éprouvera de plus en plus de sensations et de plaisir malgré l’effort.

    Sur le plan de l’entraînement, c’est un aspect très intéressant, car, si un sportif est de plus en plus concentré, il s’entraîne de plus en plus efficacement. Il gagne en intensité, peut travailler plus dur sans que cela soit ressenti comme un effort titanesque.

    Je pense pouvoir affirmer aujourd’hui que les sportifs qui bénéficient de la zone, y parviennent de deux principales manières.

    1.       Par « hasard », c’est-à-dire sans entraînement spécifique. C’est à mon sens ce qui s’est passé lors de l’épopée opposant Nicolas Mahut à John Isner, plus précisément en fin de cinquième set. L’intensité de l’événement, l’ambiance, la fatigue insoutenable les ont presque naturellement conduit tous les deux vers la zone.

     

    2.       La seconde possibilité est par l’entraînement en particulier de la concentration. C’est le travail mené aujourd’hui par tous les meilleurs joueurs actuels. Chacun avec leurs propres façons de faire.

     

    la zone ou l'art de l'instant présent

    Conclusion

    La zone est un état mental différent, en quelque sorte au-delà de la concentration. Certains effets ressentis sont assez similaires avec le fait d’être très concentré, bien entendu, cela reste moins intense que dans la zone.

    De nombreux termes sont utilisés pour désigner l’état d’esprit ou le processus pour y accéder : les plus courant sont la zone, le flow, la fluidité ou encore le surpassement. Il y a bien sûr quelques petites différences que l’on peut faire mais c’est assez maladroit car, c’est un phénomène qui se vit plus qu’il ne s’explique. Il y a une telle augmentation des sensations, souvent même modification des perceptions habituelles, que les mots sont un peu faibles pour décrire un tel tableau.

    De nos jours, avec l’accentuation de l’entraînement physique, le perfectionnement technologique du matériel… je crois que ce qui fera la différence sera la capacité au surpassement, encore plus qu’avant. Même un joueur comme Nadal qui a tendance à jouer tout en contrôle et maîtrise est conduit à lâcher-prise pour parvenir à un tel niveau d’excellence. Un Djokovic a dû se rapprocher de ces états d’esprit pour passer le cap qui l’a conduit à son actuelle place de numéro 1 mondial. A l’inverse c’est sans doute ce petit truc en plus qui manque à des Murray, Ferrer ou Tsonga pour s’élever plus régulièrement à ces niveaux de jeu.

    Mathieu CHARON